Le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg - Ministère de la Culture
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OPL - Iannis Xenakis

Iannis Xenakis - œuvres pour orchestre 1922-2001

 

Compositeur: Iannis Xenakis

 

Direction: Arturo Tamayo

 

Interprètes: Orchestre philharmonique du Luxembourg

 

Producteur: OPL - Timpani

 

Editeur: OPL - Timpani

 

Pays: Luxembourg

 

Année: 2009

 

  

CD 1 [59'02]

 

Aïs [17'29] - pour baryton, percussion et orchestre - 1980 - Editions Salabert

Spyros Sakkas, baryton - Béatrice Daudin, percussion

Tracées [5'11] - 1987 - Editions Salabert

Empreintes [10'27] - 1987 - Editions Salabert

Noomena [12'33] - 1974 - Editions Salabert

Roáï [12'35] - 1974 - Editions Salabert

 

Enregistré à Luxembourg, Conservatoire, février et avril  2000

Direction artistique: Alain Jacquon;

Son: Jeannot Mersch; Mastering: Jean-Pierre Bouquet; Directeur de production: Stéphane Topakian.

(P) Timpani/OPL 2000  (C) Timpani 2009

 

CD 2 [63'14]

 

Jonchaie [15'51] - 1977 - Editions Salabert

Shaar [13'11] - 1983 - Editions Salabert

Lichens [16'15] - 1983 - Editions Salabert

Antikhthon [17'34] - 1971 - Editions Salabert

 

Enregistré à Luxembourg, Conservatoire, mars et avril  2001

Direction artistique: Yves Prin; Son & Montage: Jeannot Mersch;

Mastering: Jean-Pierre Bouquet; Directeur de production: Stéphane Topakian.

(P) Timpani/OPL 2001  (C) Timpani 2009

 

 CD 3 [64'16]

 

Synaphaï [16'26] - pour piano et orchestre - 1977 - Editions Salabert

Hiroaki Ooï, piano

Horos [15'48] - 1986 - Editions Salabert

Eridanos [11'10] - 1972 - Editions Salabert

Kyana [20'22] - 1990 - Editions Salabert

 

Enregistré à Luxembourg, Philharmonie, mai 2006

Direction artistique: Yves Prin; Son & Montage: Jeannot Mersch;

Mastering: Jean-Pierre Bouquet; Directeur de production: Stéphane Topakian.

(P) Timpani/OPL 2008 (C) Timpani 2009

 

CD 4 [53'08]

 

Erikhthon [17'12] - pour piano et orchestre - 1974 - Editions Salabert

Hiroaki Ooï, piano

Ata [14'39] - 1987 - Editions Salabert

Akrata [10'30] - 1965 - Editions Salabert

Krinoïdi [10'08] - 1991 - Editions Salabert

 

Enregistré à Luxembourg, Conservatoire, juin 2004

Direction artistique: Yves Prin; Son: Jeannot Mersch;

Mastering: Jean-Pierre Bouquet; Directeur de production: Stéphane Topakian.

(P) Timpani/OPL 2004  (C) Timpani 2009

 

CD 5 [60'18]

 

Metastaséis [7'35] - 1954 - Editions Boosey & Hawkes

Pithoprakta [10'35] - 1956 - Editions Boosey & Hawkes

ST/48 [10'40] - 1956 - Editions Boosey & Hawkes

Achorripsis [17'34] - 1957 - Editions Bote & Bock

Syrmos [12'16] - 1959 - Editions Salabert

Hiketidès [12'03] - 1964 - Editions Salabert

 

Enregistré à Luxembourg, Philharmonie, mai 2006

Direction artistique: Yves Prin; Son & Montage: Jeannot Mersch;

Mastering: Jean-Pierre Bouquet; Directeur de production: Stéphane Topakian.

(P) Timpani/OPL 2008 (C) Timpani 2009

Informations complémentaires

 

Les interprètes

 

Spyros Sakkas

Né à Athènes, le baryton y étudie le chant, puis au Mozarteum de Salzbourg, avant d'entamer une carrière internationale qui le conduit sur tous les continents; il participe ainsi à l'inauguration de l'Opéra Bastille à Paris en 1990. Si son répertoire va du baroque au contemporain, si son activité se diversifie vers l'enseignement et même le cinéma, sa notoriété doit beaucoup à son investissement dans la musique de son temps. Cest ainsi qu'il crée La Lune vague de René Koering, L'Eau d'Ahmed Essyad, Maria Nefeli et Paroles de juillet de lonnatos. Son nom reste attaché à celui de son compatriote lannis Xenakis, qui a écrit pour lui quatre oeuvres: Ais, Pour Maurice, Kassandra et Déesse Athena. 1950, rassemblées comme à contre-temps dans le cinquième disque, jusqu'à celles, plus cyclopéennes que jamais des années 1990 (Kyania, Krinoidi, Roai), fondées sur des échelles outrepassant l'octave, fondatrices d'immenses clusters qui s'animent et se disloquent peu à peu. Mais il ya aussi plusieurs pages concertantes, une de ces musiques de scène (Hiketides) dans lesquelles Xenakis revient d'instinct aux structures modales de l'Antiquité archaïque, une partition spécialement conçue pour la danse (Antikhthon) et une autre, pour seize vents (Akrata), qui nous ramène, par contraste, aux confins de la musique de chambre. Au total, un kaléidoscope parfait, et pour tout dire unique dans le catalogue du disque, de ce qu'aura été l'apport inestimable de Xenakis dans la musique d'orchestre de la seconde moitié du XXe siècle.

 

Béatrice Daudin

Née à Metz, elle y débute ses études musicales et découvre la percussion. Elle obtient dans cette discipline le 1er Prix au CNSM à Paris, et joue alors dans plusieurs orchestres, comme l'Orchestre de Paris, le National, l'orchestre de l'Opéra de Paris. Elle interprète à plusieurs reprises la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartok, notamment avec Jean-Efflam Bavouzet et Christian Zimmermann ou Christian Ivaldi et Pascal Devoyon. Elle est depuis 1989 première percussionniste à l'Orchestre philharmonique du Luxembourg, mais se consacre aussi à l'enseignement et la composition.

 

Hiroaki Ooï

Né à Kyoto Uapon), Hiroaki Ooï fréquente la Faculté d'Electronique de l'université de Kyoto avant de se rendre à Berne (Suisse) en 1996 où il réside depuis lors. C'est dans cette ville qu'il étudie le piano, le clavecin et l'orgue. Dans le même temps, il prend part à de nombreux festivals avec différents orchestres et ensembles d'Europe et d'Extrême Orient. Il remporte des prix dans différentes compétitions internationales comme le " Gaudeamus " (Rotterdam, 1996) et l'" Olivier Messiaen " (Paris, 2000). En 2002 Ooï commémore le quatre vingtième anniversaire de Xenakis à la Biennale de Venise avec 5 œuvres pour piano (Six chansons, Herma, Evryali, Mists, à r.) et 2 morceaux pour clavecin (Khoai; Naama), programme qu'il complète en y incluant Eonta lors de ses concerts de Tokyo et Kyoto. À la fin de l'été 2002 il interprète en première au Japon la composition pour orgue Cmeeoorh.

 

Arturo Tamayo

Né à Madrid, Arturo Tarnayo fréquente la Faculté de Droit avant d'entrer au Conservatoire Royal de Musique ou il étudie le piano, la percussion, la théorie musicale et la composition. C'est au contact de Pierre Boulez qu'il s'initie à la direction d'orchestre avant de se perfectionner à l'Académie de Musique de Fribourg i/B auprès de Wolfgang Fortner et Klaus Huber pour la composition et de Francis Travis pour la direction d'orchestre, puis à Vienne auprès de Witold Rowicki. Dès 1977, il commence une intense activité artistique en dirigeant plusieurs orchestres européens et en participant à de nombreuses productions radiophoniques, tout en étant l'invité de festivals aussi prestigieux que Donaueschingen, Berliner Festwochen, Biennale de Venise, Salzbourg. Son parcours est jalonné de créations d'oeuvres contemporaines de premier plan. Outre les concerts, il dirige ballets et opéras au Deutsche Oper de Berlin, au Covent Garden, à La Monnaie de Bruxelles, au Staatsoper de Vienne, à l'Opéra de Graz, au Teatro Lirico Nacionale de Madrid, dans un vaste répertoire qui englobe aussi bien Bellini qu'Honegger, Massenet ou Busoni, Mozart ou Berg, Pergolese ou Nono, Verdi ou Strawinsky. Interprète privilégié de lannis Xenakis, il a collaboré avec lui pour plusieurs concerts consacrés à sa musique, notamment à Londres, Lyon, Copenhague, Oslo, Strasbourg et Paris. L'Orchestre Philharmonique du Luxembourg et lui ont suscité un triomphe lors du concert de mai 2002 en hommage à Xenakis.

 

Orchestre Philharmonique du Luxembourg

C'est en 1933 qu'est créé un ensemble permanent à Luxembourg (au départ lié à la radio) qui deviendra au début 1996 l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg: appellation née d'une nationalisation, qui entend faire jouer à l'Orchestre un rôle prépondérant dans la vie musicale du Grand Duché. Ce renouveau se traduit également par des mesures qui engagent l'avenir: augmentation de l'effectif, recrutement de jeunes talents, programmation très ambitieuse, politique de tournées qui confirme le statut d'ambassadeur de son pays à l'étranger. C'est ainsi que l'Orchestre est appelé à se déplacer à Salzbourg, Vienne, Munich, Paris, Londres, Moscou ... participer à de grandes manifestations internationales comme l'Exposition  Universelle de Lisbonne ou les Antiken Festspiele de Trèves. Entamée dès l'origine sous la direction d'Henri Pensis, la démarche de l'Orchestre en faveur de la musique de notre temps se poursuit au travers de sa participation à des festivals comme Ars Musica de Bruxelles, et d'enregistrements reconnus (Ohana, Xenakis). Après les directions successives de Pensis, Louis de Froment, Leopold Hager, David Shallon et Bramwell Tovey, la nomination d'Emmanuel Krivine confirme la réputation internationale de l'Orchestre.

 

 

XENAKIS FACE À l'ORCHESTRE

Alain Surrans

 

À près de dix ans de sa disparition en 2001, lannis Xenakis apparaît comme l'une des personnalités les plus singulières et les plus puissantes de l'histoire musicale de son temps, de ce xxe siècle riche de révolutions musicales auxquelles il apporta sa contribution par une révolution plus fondamentale encore que toutes les autres. Grec né en Roumanie en 1922, ingénieur de formation, résistant gravement blessé au visage et privé d'un œil en 1945, condamné à mort deux ans plus tard, évadé et réfugié à Paris qu'il ne quittera plus (il sera naturalisé français en 1965), ce musicien commença pourtant sa carrière comme  architecte et fut durant douze ans, jusqu'en 1960, l'un des proches collaborateurs de Le Corbusier. Plus que sa pratique de la composition, activité encore très secondaire pour lui jusqu'à l'année 1953, dans un style qu'on pourrait qualifier de néo-bartokien, c'est ce métier d'architecte, nourri au quotidien de formules mathématiques et de calculs, qui allait provoquer la mutation radicale que représente Metastaseis, cette spectaculaire page d'orchestre que Xenakis considérait comme son véritable  opus 1 et dont la création en octobre 1955 à Donaueschingen provoqua le premier de la longue série des scandales qui ont jalonné le parcours de ce compositeur hors norme.

Installé en France, chez les arrière-petits-enfants de Descartes, lannis Xenakis avait donc pour destin de renverser des convictions, ou plutôt des habitudes intellectuelles, qui ne sont d'ailleurs pas spécifiquement françaises mais occidentales au sens large. La dualité de l'esprit et du corps, de la sensibilité et de la science, de l'objectif et du subjectif, n'avait pas de sens pour lui qui se considérait plutôt, et à juste titre comme un descendant de Pythagore et de Parménide. Aux yeux de ce Grec attaché à ses racines antiques, la source de toute connaissance restait le quadrivium, cet ensemble de quatre disciplines fondamentales qui est au cœur de la pensée et de l'enseignement savants dans la Grèce classique, mais aussi dans l'Empire romain et même durant une partie du Moyen-Âge. Ces disciplines sont celles que lannis Xenakis a pratiquées toute sa vie: l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et ... la musique. Elles résument et reflètent en outre sa démarche, l'arithmétique renvoyant aux nombres, la géométrie à l'architecture, l'astronomie à la recherche spatiale dans toutes ses dimensions, et la musique se nourrissant des spéculations de ses trois " sœurs " tout en développant les siennes propres. Pour ceux qui, comme l'auteur de ces lignes, ont eu la chance d'approcher Xenakis et de converser avec lui, le souvenir reste incandescent - souvenir d'avoir vu et  entendu s'exprimer un Léonard de Vinci moderne, un de ces rarissimes personnages de légende chez qui l'artiste et l'homme de science restent  indissociables. Il y en eut dans l'Antiquité, il y en eut à la Renaissance; depuis lors, il n'y a eu que lui.

Ce n'est pas que d'autres, parmi ses contemporains, n'aient su ouvrir à la musique de nouveaux territoires grâce à la science et à une poétique inspirée: certaines de ses recherches font ainsi écho aux réussites, largement intuitives et combien perspicaces, d'un Giacinto Scelsi ou d'un György Ligeti. Cependant, Xenakis reste unique dans sa manière de poser art/science non pas comme une rencontre mais comme un " alliage " - il tenait beaucoup à ce  concept auquel il a consacré sa thèse d'Etat en 1976. Pour lui, il ne s'agit pas de convergence de la musique et des sciences. Tout se passe " en amont ", dans un temps sans durée et dans un espace infiniment ouvert, celui de l'astronomie pourrait-on dire, où les mathématiques expliquent et organisent toute chose. C'est ce que Xenakis appelle le " hors-temps ", ce réservoir sans fond dans lequel le créateur peut puiser à la fois tous les matériaux, toutes leurs combinaisons potentielles, tous les principes d'organisation qui resteront préalables à une composition " en temps " une œuvre musicale développée d'un point A à un point B. Et ces principes n'ont rient à voir avec la métaphysique ou ce qu'on appelle la sensibilité. Comme l'écrivait Milan Kundera en 1980, "Xenakis nous a ouvert un monde riche, vaste, complexe et ... sans sentiments ... un espace d'un objectivité consolante. ". Même dans Nuits, oeuvr pour douze chanteurs solistes dédiée à tous les prisonniers politiques " dont les noms mêmes sont perdus ", l'expression, bouleversante, naît de la rigueur implacable de l'écriture tout autant que des violences et de la douleur exprimées par les voix.

Il ne faut pas pour autant en déduire que l'organisation musicale, chez Xenakis, serait "soumise" à des modèles mathématiques; la vérité, c'est qu'un même calcul, une même recherche morphologique, gouvernent la formule arithmétique, géométrique ou algorithmique et la combinaison sonore, de même que, dès 1954, le compositeur a pu développer des rythmes et des courbes semblables pour Metastaséis et pour certains de ses projets architecturaux comme la façade à pans de verre du couvent de la Tourette et le pavillon Philips de l'Exposition universelle de Bruxelles tous deux terminés quatre ans plus tard. JI s'agit donc bien toujours d'osmose, d'alliage, non seulement entre science  et art, mais aussi entre tous les "moteurs" de la création et de la pensée, sans en exclure d'ailleurs l'instinct, l'imagination, voire la fantaisie, que Xenakis ne tenait nullement pour négligeables.

Dès lors, il n'est pas plus important de savoir quel type de calcul a fondé une pièce électronique ou orchestrale de  Xenakis que de savoir dans quel ordre et quelles perspectives Michel-Ange a peint des centaines de personnages qui peuplent la chapelle Sixtine. II suffit de comprendre que le calcul agit pour Xenakis comme un réactif, un révélateur d'organisations inouïes, au sens premier du terme, que le compositeur pourra ensuite sculpter dans l'espace et le temps. En fait, il s'agit pour lui, dessein prométhéen à souhait, de faire émerger du chaos les forces qu'il recèle. Ainsi le calcul des probabilités en général, la loi de Poisson, mais aussi la théorie cinétique des gaz, et plus tard celles des ensembles ou des cribles, ont apporté à Xenakis les outils d'organisation de ses oeuvres tour à tour stochastiques, stratégiques, formelles, symboliques, ainsi qu'il les qualifiait lui-même pour mieux souligner leur rupture avec la tradition occidentale.

Ce projet prométhéen explique que l'orchestre symphonique occupe une place de premier plan dans l'oeuvre de Xenakis: près d'un tiers de ses œuvres font appel à des formations plus ou moins larges, allant parfois jusqu'à une centaine de musiciens et offrant par le nombre et la diversité des sons qu'elles recèlent le " magma " originel d'où peut émerger une grande trajectoire musicale. On n'est pas moins frappé en constatant que des pages d'orchestre essentielles se sont succédées durant quinze ans avant que Xenakis ne compose une pièce pour instrument seul. Même l'électroacoustique est venue après les premières fresques symphoniques. Les œuvres sur bande sont d'ailleurs bien moins nombreuses que celles pour orchestre, et elles sont souvent associées à ces projets de spectacles sonores et lumineux que Xenakis avait baptisés polytopes et qui réalisaient la synthèse de ses conceptions d'architecte et de musicien. Certes, l'informatique a occupé une grande partie du temps et de l'énergie de cet infatigable chercheur, inventeur du système UPIC, outil de composition associant la synthèse du son à sa représentation graphique. Mais jamais Xenakis n'a cessé d'écrire pour l'orchestre et l'avant-dernière de ses œuvres  Sea-Change, sera encore, en 1997, une ample partition pour près de quatre-vingt-dix musiciens.

C'est avec de telles formations que le compositeur a réalisé les plus spectaculaires de ses proliférations sonores, semblables aux orages magnétiques, au fracas des batailles ou à des nuées d'insectes, dont le mouvement vibratoire peu à peu s'organise et converge, donnant naissance à un unisson comme dans Metastaséis, ou faisant émerger une phrase en mode pentatonique comme dans jonchaies. La loi des grands nombres, qui veut que plus il y a  d'événements, plus ils tendent vers un but unique, trouve là une impressionnante démonstration.

Pour démultiplier le potentiel de l'orchestre, Xenakis demande aux instruments de dépasser toutes leurs limites, extérieures - dans les registres graves et surtout suraigus, toujours très sollicités - et intérieures - l'écriture en micro-intervalles se généralise et le recours au glissando est fondateur de nombreuses partitions. Des modes de jeu particuliers qui, jusqu'alors étaient rares, voire anecdotiques, sont systématisés, notamment le flatterzunge (roulement de langue) aux bois et aux cuivres, et le jeu collegno (avec le bois de l'archet) ou sul ponticello (derrière le chevalet) pour les cordes. Ainsi, même avec une formation relativement légère, l'impression d'une masse vibrante, prête à l'éruption, reste toujours sensible. Les œuvres réservées aux seules cordes sont d'ailleurs très éloquentes sous cet angle. À l'opposé d'Edgard Varèse, qui l'avait déclarée obsolète et impropre à servir la pensée d'un compositeur moderne, Xenakis a toujours affectionné cette famille des cordes frottées, qui par son agilité dans le glissando et le pizzicato, peut créer, même en petit collectif, une impression de prolifération maximale. L'agilité, c'est aussi bien sûr le rythme, avec un même objectif de prolifération, par des superpositions de cellules individuelles d'une telle densité qu'elles disparaissent au profit des couches superposées ou des " nuages " qu'elles composent. Enfin, le compositeur, qui est aussi un architecte et un passionné d'astronomie, pense sans cesse en trois dimensions, et donc dans l'espace, utilisant pour cela les harmoniques des instruments en combinaisons révélatrices d'arrière-plans inouïs.

Il suffit d'avoir entendu quelques pages symphoniques de Xenakis pour comprendre sa prédilection. Ce compositeur était décidément de la famille des orchestrateurs nés, et plus particulièrement de la " branche " française de cette famille: avec Berlioz, Debussy, Ravel, avec Varèse qu'il admirait plus qu'aucun autre de ses devanciers, Xenakis partage une formidable intuition, une sorte d'oreille intérieure conditionnée pour la très grande formation. Ces alliages étonnants de timbres dont on se demande comment un compositeur a pu en deviner le résultat sonore au moment de les coucher sur le papier, Xenakis en invente sans cesse, comme avant lui Berlioz dans son Requiem, Debussy dans La Mer, Ravel dans son Boléro, Varèse dans Arcana ...  Pour autant, le compositeur de pièces puisant leurs titres dans la mythologie grecque ou l'Odyssée, les astres, les puissances telluriques, ou encore dans des formes végétales rappelant les arborescences qui sont servi de guide-ligne à l'écriture, ne se laisse pas distraire de ses projets par une recherche  anecdotique de sonorités nouvelles.

Son exploitation de l'orchestre est en fait sélective. Ainsi n'y retrouve-t-on pas systématiquement de percussions et très rarement, en tout cas, les instruments métalliques ou les claviers tels que vibraphones et marimbas, alors que Xenakis a dédié des pages magnifiques et fondamentales à cette grande famille qui ne se limite pas à celle des peaux. Du côté des cordes, les pizzicati, par exemple, sont en fait plutôt rares et discrets. Plus généralement, on peut dire que les divers modes de jeu d'un instrument ne sont pas toujours, et sont même rarement utilisés tour à tour dans une même oeuvre.

C'est que le geste de Xenakis est toujours un geste de volonté, volonté bien nécessaire quand on veut imiter symboliquement la Création. La nature elle-même est une force non pas tranquille mais toujours en mouvement, en éruption. Les œuvres pour orchestre de ce compositeur animé par une orgueilleuse puissance ne contiennent que de rares phases de détente, à peine quelques instants de latence, et demandent aux musiciens de mettre en action une énergie proprement surhumaine.

L'extrême effort instrumental, l'effort physique, fait donc partie intégrante de l'écriture de Xenakis. Souvent, dans de longues sections, violons, altos, violoncelles et contrebasses doivent substituer à leur très naturel tiré-poussé une succession en rafales de tirés, éprouvants pour le coude et les avant-bras; souvent les piccolos soufflent sans discontinuer dans le suraigu comme pour imiter un sifflet de machine à vapeur; souvent les bois brament dans le grave tandis que les cors barrissent en rythmes asymétriques. Dans le même temps, chacun est en danger car il se voit confier une partition qui n'est en rien la duplication ou la transposition de celle de son voisin de chaise. Chez les cordes, surtout, le " métier classique " est sans cesse battu en brèche: on ne joue plus à cinq voix comme dans tout le répertoire, de Bach à Schoenberg, mais, pour une œuvre comme Shaar, à soixante voix, sans un seul collègue qui puisse vous aider si vous " mangez " une note ou un temps. L'expérience est traumatisante.

Et elle le fut, dans les années 1960 et 1970, pour les musiciens des orchestres français qui eurent à créer des pages telles que ST/48, Noomena et même le chef-d'œuvre absolu qu'est Jonchaies. Ceux qui assistèrent à ces premières n'ont pas oublié la fureur rageuse des membres de l'orchestre, fureur d'avoir été instrumentalisés jusqu'à l'insoutenable, selon eux, fureur dont une partie du public ne pouvait que se faire l'écho par des sifflets, des huées et d'injurieuses protestations.

Aujourd'hui encore, vous entendrez plus d'un instrumentiste vous déclarer sur un ton péremptoire que Xenakis n'a pas écrit pour mais contre les instruments. La " fracture musicale " ne s'est pas encore résorbée. Pourtant, et le compositeur l'avait parfaitement anticipé, les prouesses qu'il demandait aux musiciens il  a trente ans n'en sont plus vraiment aujourd'hui, Même la partition du pianiste de Synaphai; avec une portée pour chacun de ses dix doigts, est devenue -presque- entièrement " jouable ", surtout quand les doigts sont ceux de l'extraordinaire pianiste Hiroaki Ooï, soliste de Synaphaï dans le troisième de nos disques mais aussi interprète d'Erikhthon dans le quatrième.

Avec Arturo Tamayo, qui s'inscrit dans la lignée de Hermann Scherchen et Michel Tabachnik et compte aujourd'hui parmi les chefs les plus experts de l'œuvre de Xenakis, l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg s'est donc lancé dans une entreprise qui relevait encore largement du défi. L'ensemble des pages qu'il a enregistrées depuis près de dix ans et qui sont rassemblées dans le présent coffret constituent une approche unique de l'oeuvre pour orchestre de Xenakis. Il ne s'agit certes pas d'une intégrale. Il y manque les pièces avec chœur, d'autres avec solistes. Il y manque d'importantes partitions des années 1960, notamment celles éparpillant les musiciens dans le public (Terretektorh, Nommas Gamma) et celles conçues comme des " jeux " dont chaque exécution est censée être un objet unique  (Duel, Stratégie) : ces œuvres sont quelque peu rétives, il est vrai, à un enregistrement de studio.

Mais, tel quel, l'ensemble proposé par l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg reste unique par son ambition, son ampleur, et la diversité des entrées qu'il propose dans l'œuvre symphonique de Xenakis, depuis les pages fondatrices des années 1950, rassemblées comme à contre-temps dans le cinquième disque, jusqu'à celles, plus cyclopéennes que jamais des années 1990 (Kyania, Krinoidi, Roai), fondées sur des échelles outrepassant l'octave, fondatrices d'immenses clusters qui s'animent et se disloquent peu à peu. Mais il ya aussi plusieurs pages concertantes, u ne de ces musiques de scène (Hiketides) dans lesquelles Xenakis revient d'instinct aux structures modales de l'Antiquité archaïque, une partition spécialement conçue pour la danse (Antikhthon) et une autre, pour seize vents (Akrata), qui nous ramène, par contraste, aux confins de la musique de chambre. Au total, un kaléidoscope parfait, et pour tout dire unique dans le catalogue du disque, de ce qu'aura été l'apport inestimable de Xenakis dans la musique d'orchestre de la seconde moitié du XXe siècle.

 


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